BLOG de Claude Montagné
TEXTE 1 du 04/09/2007
Ainsi les dés étaient jetés.
Javais réussi courant mai 1956 lexamen dentrée en sixième et je navais plus le droit de reculer.
Je ne me souviens pas exactement des vacances de cet été là. Mais ce dont je me souviens, cest langoisse de la rentrée.
Il allait donc falloir quitter cette maison si douce au milieu dune grande famille qui comprenait tous les jours pas moins de huit à neuf personnes à table. Il y avait de lanimation, il y avait de la discussion, il y avait de léchange.
Et demain, jallais me retrouver enfermé dans des lieux inconnus avec des personnes que je ne connaissais pas non plus. Moi qui nétais a peu près jamais parti de chez moi, javais de quoi craindre ce qui mattendait.
De plus, jétais un petit paysan, connaissant peu le monde. Même si je lisais tout ce qui me tombait sous la main, les écrits qui circulaient dans la famille nétaient pas légion et ne pouvaient prétendre à étayer vraiment mes connaissances générales.
Mon univers sétendait à Caunan, petit hameau dune petite centaine dhabitants et au chef lieu de la commune, Labruguière, gros bourg à 5 km qui comportait les commerces nécessaires.
Je connaissais la mer pour y être allé une
fois avec lécole primaire que je fréquentais.
Et jétais allé jusquà Castres pour y passer des
tests et mon examen dentrée en sixième.
Rien dautre.
Nous avions depuis peu une automobile, une traction avant Citroën doccasion, dont le chauffeur attitré était mon frère aîné. Mais, elle ne servait que pour de courts déplacements et il ny avait guère de temps libre avec les travaux de la ferme.
Dans les jours précédents javais suivi ma mère Rose jusquà la grande ville de Castres pour y acheter ce qui me manquait et qui était inscrit sur cette fameuse liste à len tête du Lycée Jean Jaurès que lon avait remise à mes parents.
Il fallait, je men souviens, avoir en particulier des blouses grises pour tous les jours et un costume bleu pour les sorties et les jours de fête. Nous avions donc acheté ce fameux costume.
Je nen avais jamais possédé jusque là. Au regard du budget modeste de mes parents cétait un accessoire fort cher et jimagine sans peine ce quil avait dû leur coûter.
Quand jy repense, viennent en écho les propos de mon père rapportés par mon frère André et ma belle-sur Paulette , qui vivaient et travaillaient tous les jours auprès de mon père. Celui-ci les avait prévenus quétant donné mon entrée en sixième il ne savait pas sil pourrait leur reverser le petit salaire mensuel qui était jusque là convenu.
On dirait aujourdhui que nous ne roulions pas sur lor.
Bathélémy, qui était un réfugié espagnol que nous avions accueilli dans notre famille et qui travaillait également à la ferme mavait fabriqué une espèce de caisse en bois avec un cadenas qui servirait à entreposer mes livres et mes cahiers à labri des chapardeurs.
Cest donc avec cette caisse et une valise, revêtu de mon costume bleu, que jai pris un bel après midi dautomne commençant le chemin du lycée.
Ma mère mavait accompagné, émue elle aussi par cette séparation inscrite à lavance dans notre calendrier commun.
Se séparer de cet enfant quelle avait eu sur le tard et quelle chérissait particulièrement lattristait à lavance.
A larrivée devant l imposante bâtisse de cet établissement scolaire, je nen menais pas large.
Et quand nous avons franchi les imposantes portes, jai bien compris que jétais désormais comme dans une prison.
Le concierge nous accueillit pour quelques informations. Cétait tout à fait nouveau cette histoire de concierge.
Je ne voyais pas trop à quoi ça pouvait servir. Je compris plus tard que jaurais affaire à lui pour les trop rares communications avec lextérieur.
Il nous dirigea vers un surveillant que jappellerais « pion » comme tout le monde, dans les jours à venir.
Celui-ci consulta sa liste et nous accompagna jusquau dortoir des sixièmes « A » qui se trouvait au tout dernier étage à droite en arrivant sur le palier.
Il me demanda de choisir un lit parmi ceux qui restaient libres et me montra une armoire métallique grise juste en face. Il me recommanda dy placer mes affaires personnelles et si possible dy installer un cadenas pour les mettre à labri.
Le cadenas venait de rentrer dans ma vie. Jusque là, je savais que cet instrument existait mais je nen avais jamais eu besoin ni ma famille non plus. Il ny avait pas de voleurs là où jhabitais.
Cest là que je commençai à avoir vraiment peur de ce qui mattendait. Ainsi donc, non seulement je plongeais dans linconnu mais en plus il allait falloir que je me protège.
La suite ne démentira pas ces premiers constats et cest en pleurant que je vis repartir ma mère.
Elle aussi pleurait ce qui augmentait ma peine. Moi qui désirais tant devenir un homme, je touchais du doigt combien cétait dur et combien il allait falloir lutter.
Depuis, la vie m a appris quil est nécessaire de mourir, de renoncer à quelque chose pour renaître et progresser vers les buts que lon sassigne ou que la vie vous impose.
Mais à douze ans, en ces temps là où les enfants ne savaient pas grand chose et moi encore moins, je trouvais lépreuve très douloureuse. Ëtre séparé des gens que lon chérit et qui vous le rendent bien une quarantaine de semaine par an cest très difficile quand on est encore un enfant à peine sorti de lombre et projeté sans préparation dans un univers pressenti comme hostile.
Jai fini le reste de laprès-midi caché derrière un des platanes de la cour ou assis seul sur un banc en essayant déviter le bizutage qui avait lieu sous lil plus ou moins tolérant du pion de service.
Il sagissait pour les plus anciens dattraper un « bleu » (un petit nouveau) sans défense et avant tout de lui faire peur en lui racontant les sévices auquel il pourrait avoir droit.
Le châtiment suprême consistait à déculotter le pauvre sixième fraîchement débarqué et à lui enduire larrière train de cirage de diverses couleurs.
Mais pour cela il fallait lattraper et la cour immense permettait parfois de séchapper. Pour ce qui me concerne, mes jambes de campagnard aguerri mont permis plus dune fois de semer mes poursuivants sans me rassurer outre mesure.
Soudain, une cloche mécanique se mit à sonner et les pensionnaires les plus anciens se dirigèrent vers un coin de la cour pour y former un rang plus ou moins homogène. Rassemblés par le pion, les nouveaux sy joignirent, plutôt surpris. Cétait notre premier contact avec la « liturgie » du pensionnaire qui règlerait désormais notre quotidien scolaire.
Je nai pas un souvenir précis de ce premier repas du soir si ce nest le cérémonial de la mise en place où il faut compléter les tables déjà occupées partiellement par les anciens. Ces derniers nallaient pas tarder à nous imposer leurs prérogatives et à nous faire comprendre quil sagissait pour eux de se servir largement dabord et pour le petits de se contenter de ce quils restait sans parler du « RAB » quils ne verraient jamais.
La première nuit ne ma pas laissé de grands souvenirs non plus peut être parce quil n y en avait pas.
Sans doute ai-je mal dormi en songeant à tout ce qui mattendait le lendemain ?
Et souvent ai-je dû jeter un regard vers cette petite « cahute » du pion de service qui devait régler notre vie commune et qui resta allumée pendant longtemps dans la nuit en attendant que tout le monde sendorme.